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vendredi 10 mai 2013

Volatilité des prix internationaux agricoles et alimentaires et libéralisation en Afrique du Nord

François Lerin CIHEAM-IAMM
Sylvaine Lemeilleur CIHEAM-IAMM
Michel Petit CIHEAM-IAMM

I – Introduction 
Après une longue période de baisse tendancielle et de relative stabilité, les cours mondiaux des matières premières agricoles et des produits alimentaires amorcent une phase de hausse sensible au cours des années 2005-2006. Cette période de hausse a débouché sur une véritable flambée des cours en janvier-juin 2008 qui, augmentant le coût de l’alimentation (alors que celui de l’énergie atteignait des sommets historiques), a provoqué une série de mouvements sociaux médiatisés sous le terme « d’émeutes de la faim », notamment dans la rive sud du bassin méditerranéen. Cependant, cette hausse s’est ensuite transformée en
une baisse, tout aussi spectaculaire. En quelques mois (juillet-janvier), les cours se sont brutalement repliés. Cette chute des prix sur les marchés agroalimentaires a été l’une des conséquences de la crise bancaire qui s’est rapidement propagée à « l’économie réelle » pour déboucher sur une récession économique mondiale, sans précédent dans tout l’après Deuxième Guerre mondiale…
La première partie de cette séquence a été désignée, non seulement dans la presse ou par les mouvements sociaux, politiques et syndicaux, mais aussi par la majorité des organismes multilatéraux spécialisés, de « crise alimentaire », en raison de son impact sur une fraction non négligeable de la population mondiale. Même si les médias n’en parlent plus beaucoup, la plupart des experts sont convaincus que la baisse récente des prix ne marque pas la fin de cette crise alimentaire.
Cette crise ouvre, ou réouvre, deux champs de réflexion :
- celui concernant la place de l’agriculture et du développement à la fois dans l’agenda international des questions globales et de la coopération, comme dans les priorités nationales. On a, en effet, assisté au cours des deux décennies passées à une diminution notable de l’aide au développement consacrée à l’agriculture, dans les organismes multilatéraux comme dans les agences bilatérales. Cette désaffection venait conforter ou renforcer celle de la majorité des gouvernements nationaux pour ce secteur et ses problèmes ;
- celui concernant les risques grandissants liés à l’aléa que représente la volatilité des prix sur les marchés mondiaux pour des économies qui sont désormais largement ouvertes sur l’extérieur. En effet, après avoir longtemps sanctuarisé leur agriculture, les pays méditerranéens, sur les deux rives, ont été sommés (et ont accepté) de participer à un régime commercial international de plus en plus libéralisé – même si l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui forme l’ossature de ce régime, n’a pas réussi à conclure son dernier round de négociations (celui de Doha) en particulier en raison des questions agricoles.
Ces deux questions sont en partie liées en ce sens que le secteur agricole, notamment dans les pays de tradition rurale ou à forte population rurale et de petite propriété, est sans doute un des secteurs où l’intervention publique et les mesures de soutien et d’accompagnement sont les plus fréquentes et probablement les plus nécessaires. Or, les politiques de libéralisation du 10 Options Méditerranéennes B 64 commerce extérieur et la libéralisation mondiale du régime commercial, se sont accompagnées de politiques de libéralisation « en interne ». Ces politiques avaient pour objectifs de restaurer ou d’instaurer des équilibres macro-économiques et de limiter l’intervention de l’Etat dans le secteur productif et dans l’administration des prix et des flux. Même si cette libéralisation n’a été que partielle, ou peut-être même parce qu’elle n’a été que partielle, les outils de couverture des risques sont peu nombreux et de faible amplitude et les outils de compensation des pertes sont faiblement dotés de moyens financiers (sauf dans le cas des pays à forte rente pétrolière). Dès lors, ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la « crise alimentaire » et sa transformation actuelle en une dépression économique mondiale, remettent-elles en cause le mouvement général de libéralisation qui a été un fondement essentiel des grands débats de politique économique dans les quatre pays étudiés ?
La double question - vulnérabilité à l’ouverture commerciale / performance et organisation du secteur agricole- est revenue au cœur des débats sur le développement. Elle prend la forme d’une re-formulation de la question de la « sécurité/souveraineté alimentaire » et du développement agricole pour ces raisons conjoncturelles mais aussi à partir d’analyses de moyen et long terme comme en témoigne le Rapport sur le développement dans le monde (RDM) de 2008 de la Banque mondiale (L’agriculture au service du développement) et les interventions de nombreuses agences spécialisées, telles que les alertes et les initiatives formulées par le Ciheam pour la région méditerranéenne (Hervieu, 2006 ; Mediterra, 2008 ; Hervieu et Abis, 2008 ). Elle est également un nouveau contexte d’appréciation des politiques économiques de libéralisation en interne et en externe qui ont étés menées au cours des décennies passées.
Pour aborder ces questions nous avons, dans ce chapitre, adopté la démarche suivante :
- caractériser la nature de l’aléa et spécifier les caractéristiques de « cette criselà ». Il s’agit en particulier de savoir si cette forte volatilité peut être considérée comme structurelle ou comme un simple effet d’une séquence très particulière ;
- s’interroger sur la transmission de l’instabilité des prix internationaux dans les systèmes agroalimentaires nationaux dans le cas de deux filières particulières :
les céréales et le lait ;
- caractériser l’exposition à l’aléa « marché international » des quatre situations nationales étudiées et identifier plus précisément la nature des risques encourus,par qui et sous quelle forme.

La transmission des prix au Maroc 

A. Comparaison des prix nationaux aux prix internationaux au Maroc 

a) La filière blé 

Les données annuelles de prix, aussi bien internationales que nationales, pour la période 1990-2008 montrent que les prix du blé tendre et du blé dur, tant à la production qu’à la consommation, sont fortement découplés des prix CAF des blés importés - excepté pour la flambée des prix de 2008, ce qui explique pour partie, sans doute, les émeutes de la faim qu’a connues le pays.
Dans le cas du Maroc, seul le prix à la production de blé tendre, destiné au circuit officiel de farine nationale, est administré, et ce pour un contingent de 1 million de tonnes correspondant à environ 44% de la production. En dehors de ce circuit, les prix à la production du blé tendre et du blé dur varient en fonction de l’offre et la demande ; ils sont destinés au marché traditionnel ou à l’autoconsommation.
La relative stabilité des prix des blés tendre et dur à la production, entre 1990 et 2006-2007, est en fait due essentiellement à l’intervention publique sur la tarification des importations. En effet,les importations ne sont pas sujettes à une simple tarification ad valorem mais à une double tarification tenant compte des prix CAF et de prix de référence visés sur le marché intérieur, Perspectives des politiques agricoles en Afrique du Nord 25 permettant ainsi de réduire la transmission des variations de prix du marché international (Aït el Mekki, 2006). Les revenus tirés des taxes sur les importations sont ensuite versés au fonds de soutien des prix de certains produits et au Fonds de développement Agricole (pour la subvention aux semences de céréales, par exemple). En 2007-2008, les prix internationaux ayant dépassé les prix à la production locaux, l’Etat a momentanément abandonné les droits de douanes et laissé les prix à la production locaux augmenter de la même manière que sur le marché international.
Du côté des consommateurs, le Programme « Farine nationale de blé tendre » (FNBT) permet de maintenir des prix bas à la consommation pour la farine et le pain, malgré les fluctuations du marché international (figure 9). L’Etat, au travers de l’Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses (ONICL), est en charge de réguler cette filière spécifique et d’allouer les subventions aux minoteries pour compenser le bas prix de vente de la farine, sortie usine. Cependant cette politique alimentaire a un coût important pour le budget de l’Etat qui y consacre annuellement 2 milliards de Dirhams (soit environ 0,33% du PIB).

b) La filière lait 

Il ne semble pas y avoir de corrélation entre les prix du lait frais (aux producteurs et aux consommateurs) et les prix de la poudre de lait qui est importée. Signalons d’une part que la part de lait importé ne représente que 10% de la consommation nationale et d’autre part que le prix d’importation de la poudre de lait est soumis à des droits de douanes élevés (des quotas en exonération tarifaire d’importations sont cependant appliqués en faveur de l’Union européenne).
De plus, si le marché intérieur du lait est supposé être libéralisé au Maroc, le dispositif liant les coopératives de transformation ou la grande entreprise « Centrale Laitière », aux centres de collecte du lait et aux producteurs de lait a été établi sous la « bénédiction » de l’Etat. La relative stabilité des prix à la production résulte en fait d’une entente au sein de la filière. A la consommation, la filière industrielle est fortement concurrencée par la filière informelle (40% du marché), ce qui tend à éviter les dérapages de prix par les industriels : le prix du lait frais à la consommation suit le prix du lait à la production.

B. Conséquences de la récente volatilité des prix internationaux… 

C’est au niveau de la filière blé que nous regardons les impacts de la volatilité des prix internationaux sur le marché intérieur. D’après les graphiques des prix mensuels dans la filière blé, entre 2005 et 2008 (figure 11), on peut constater deux phénomènes :
- d’une part, une relative transmission des prix de marchés internationaux aux producteurs marocains sur cette période (à la hausse, comme à la baisse) dans la mesure où les prix mondiaux restent au dessus des prix seuils visés par la politique commerciale marocaine, - d’autre part, une non-transmission au consommateur.
Par ailleurs, outre l’enveloppe de subvention gérée par l’ONICL pour la FNBT (de 2,4 milliards de Dirham en 2008 - 400 millions de plus qu’en 2007), le gouvernement marocain a décidé d’allouer un budget important à la Caisse de compensation pour la subvention du sucre, de l’huile de tournesol, du gaz et des produits pétroliers. De fait, cette aide gouvernementale a atténué les effets de la hausse des cours mondiaux sur les prix à la consommation des produits de première nécessité au niveau des marchés intérieurs et sur le pouvoir d’achat des populations vulnérables. De surcroît, une révision de la répartition des quotas de farine nationale de blé tendre a été pensée en fonction de la distribution géographique de la pauvreté : 168 000 quintaux par semestre pour les communes les plus pauvres au lieu de 106 000 auparavant et la part des communes rurales passe de 46 à 66% tandis que celle des villes de 54 à 34%.
Pour éviter d’augmenter trop fortement la facture alimentaire extérieure, l’Etat a également décidé la suspension des droits de douane à l’importation de certains produits agricoles (blé, aliments composés pour bétail, lait en poudre, etc.). Enfin, le gouvernement a également engagé des négociations avec les syndicats pour améliorer les salaires dans les secteurs public et privé.

lire le document pdf entier sur: http://om.ciheam.org/om/pdf/b64/00801108.pdf

annexe:
pour voir la loi n° 06-99 portant sur la liberté des prix et de la concurrence parue dans le BO 
n°:4810 du 05/06/2000: http://www.sgg.gov.ma/codeconcu_fr.pdf

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