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mercredi 8 mai 2013

On ne nous déplacera pas: les Bédouins du Neguev s’accrochent à leur terre

Lorsque les 28 Belges sont arrivés à Al Arakib, les uns pédalant, les autres marchant d’un bon pas, même les enfants avaient retenu le refrain de la chanson fétiche entonnée à tout moment par les chanteurs du groupe, « we shall not be moved », un vieil hymne venu du Sud des Etats Unis et adapté à la situation particulière des Bédouins d’Israël.. . Quelques instants plus tard, c’est toute l’assistance qui reprenait: « non, non, non, nous n’allons pas être délogés » alors que le soliste psalmodiait « vous avez détruit nos écoles, vous avez arraché nos arbres… »

Le ton était donné par un chœur original : un groupe qui, l’an dernier, alors qu’il manifestait pacifiquement en Palestine, avait été appelé « les check point singers ». A tout moment en effet, devant les postes de contrôle israéliens et les files d’attente, ces Belges bien en voix entonnaient quelques chansons aussi « cultes » qu’engagées, la Française « Le temps des cerises, l’Italienne Bella Ciao ou la Portugaise « Grandola »…
Alors que chaque dimanche depuis trois ans, ils ne sont que quelques dizaines de Bédouins à se réunir sur ces arpents de terre venteuse protégés par des glissières d’autoroute et à brandir leurs calicots refusant l’expropriation, cette fois la foule avait tenu à venir nombreuse à Al Arakib. En voiture, en carriole, à dos d’âne ou de cheval, tous tenaient à accueillir le groupe de Belges qui, durant une semaine, avait arpenté les pistes caillouteuses du Neguev. Venus de ces villages qui ne seront jamais rayés d’aucune carte pour la bonne raison qu’ils n’y sont même pas mentionnés, les plus oubliés des citoyens israéliens, les Bédouins du Neguev, ont tenu à démontrer, une fois encore, qu’étaient bien vivants et que, face à l’armée israélienne, ils n’avaient rien perdu de leur combativité.
Femmes sous la tente, hommes à la tribune, tous les chefs de village ont brandi des titres de possession des terres et des puits, clamé leur refus d’être chassés vers le béton et l’anonymat des villes.
Sensibilisé de longue date à la question palestinienne, Marco Abramovicz, qui anime le Comité pour une paix juste au Proche Orient, a découvert voici trois ans le problème des Bédouins du Néguev. Le paysage désolé d’Al Arakib lui est devenu familier : oliviers arrachés, champs nivelés. A plus de 40 reprises, les bulldozers israéliens sont venus pulvériser les habitations, jeter au sol les tôles, les quelques blocs de béton que les habitants à chaque fois remettaient debout, afin de signifier un message toujours identique : « cette terre est celle de nos ancêtres, nous ne partirons pas ».
Le chef du village, Cheikh Sayeh al Turi, considère Abramovicz comme un ami fidèle et il salue avec enthousiasme le fait que ce citoyen d’Ittre ait pu convaincre un groupe de Belges de le suivre pour découvrir, -à la force du mollet -ces dernières terres « vierges » d’Israël, lorgnées par les « développeurs » et les plus hardis des colons. Le Neguev en effet représente 60% de la superficie d’Israël et l’Etat hébreu entend désormais le « mettre en valeur », en proposer l’occupation aux derniers arrivés, les Falashas, ces Juifs noirs d’Ethiopie ainsi que les Juifs russes, qui sont déjà les principaux occupants de la ville de Beer Sheva, aux portes du désert.
Depuis les hauteurs d’Al Arakib, on aperçoit d’ailleurs les gratte ciel de Beer Sheva, devenue une importante cité universitaire et qui ne cesse de s’étendre; des autoroutes tracent leur sillon, les fils électriques zèbrent le ciel, tout est prêt pour créer de nouvelles implantations et amener de nouveaux citoyens juifs sur les marches du désert. A ceci près que les habitants d’Al Arakib, à l’instar des autres tribus demeurées dans le Neguev après le grand exode de 1948 qui vit plus de 100.000 Bédouins fuir vers la Jordanie, ne l’entendent pas ainsi.
Dans l’enclos de l’ancien cimetière, datant de 1914, où reposent leurs ancêtres, ils ont redressé les tôles et les parpaings, ils ont ramené du bétail sur la savane herbeuse et tiré de longs fils pour capter un peu de ce courant électrique qui passe bien au dessus de leurs têtes. Paradoxalement, ces gens qui officiellement, n’existent pas et ne devraient pas être là, s’acquittent tout de même de la facture d’électricité…
Comme tous les autres notables, Cheikh Sayed, obligeamment traduit par Aziz, l’un des récalcitrants et porte parole du village, exhibe des titres de propriété, des documents rédigés naguère par l’administration ottomane, du temps où les Turcs occupaient la région, bien avant l’existence de l’Etat d’Israël. Ces manuscrits, avec sceaux et empreintes digitales, réduisent à néant une légende persistante : le Neguev, Naqab pour ses habitants, n’a jamais été un véritable désert, mais une vaste zone où des Bédouins sédentarisés pratiquaient l’élevage et une petite agriculture de subsistance.
« Il est dur de vivre ici, mais de cette terre, nous pouvons vivre correctement » précise Aziz « et si, à l’instar des colons israéliens nous disposions d’adductions d’eau, nous pourrions nous aussi la transformer en paradis… »
Durant huit jours, marchant d’un bon pas ou agrippés à leur mountain bike, les voyageurs belges, sous la houlette de Marc Abramovicz, ont parcouru les villages bédouins, chaleureusement accueillis et pris à témoin par des habitants qui refusent autant de quitter leur terre que de modifier leur mode de vie. En effet, l’administration israélienne souhaite moins « sédentariser » des Bédouins qui ont depuis longtemps cessé de nomadiser que les regrouper dans des townships, des agglomérations urbaines où ils se retrouveront tout au bas de l’échelle sociale. Transformés en prolétaires urbains, obligés d’accepter des emplois non qualifiés et de vivre dans des infrastructures sommaires, les Bédouins seront obligés d’abandonner leur mode de vie traditionnel, leur hospitalité légendaire et aussi leur polygamie.
A l’heure actuelle, une quarantaine de villages, ayant été décrétés «non reconnus », ne figurent sur aucune carte et à tout moment, les maisons qui y ont été construites peuvent être détruites par les bulldozers de l’administration. En 2011, plus de mille demeures ont ainsi été jetées au sol et aujourd’hui encore les destructions sont quotidiennes.
Alors que nous nous dirigeons vers Um Batyn, un homme à la fine barbe grise, à l’allure de notable prospère, nous hèle pour nous montrer ce qui reste de sa maison, un tas de pierres d’où dépassent encore de solides fers à béton. «Je travaille en ville, j’ai payé cette maison de mes propres deniers et, délibérément, j’ai voulu la construire dans le village où ma famille peut prouver, documents à l’appui, qu’elle possède cette terre depuis toujours. Voilà le résultat : les bulldozers ont tout démoli… »
L’homme ajoute cependant : « après la création de l’Etat d’Israël, les Bédouins ont volontiers servi dans l’armée israélienne où l’on reconnaissait leurs qualités de combattants. Mais aujourd’hui, les jeunes renâclent, d’autant plus que pour les Arabes d’Israël, le service militaire n’est pas obligatoire. Nombre de garçons sont dans l’impossibilité de se marier car ils ne peuvent construire de nouvelle maison pour abriter leur future famille. Comme j’ai deux fils, on m’a tout de même glissé que s’ils avaient décidé de s’engager dans l’armée, ma maison aurait peut-être pu être épargnée… »
Le soir de cette rencontre, nous accueillant dans sa vaste demeure de Ati um Alhiran, (dissimulée dans un repli de terrain et invisible depuis la route) une autre chef de famille, Abou Keiham, souligne un autre des paradoxes de la situation des Bédouins : «même si la vie est dure, nous ne dépendons de personne. Nous avons des champs, des pâturages, la ville n’est pas loin, et ma troisième épouse a même fait un master en sciences administratives. Mais nous voulons continuer à vivre en famille, suivant nos traditions, avec nos femmes, nos vieux parents, nos très nombreux enfants. Dans notre famille, ils sont 14 au total… Vivre en ville, dans des appartements, pour nous c’est impossible… »
Dans tous les villages traversés, si les familles s’abritent souvent dans des baraquements de tôle ondulée et des abris précaires (vite détruits, aussitôt reconstruits) la vie sociale tourne autour du « shik » cette vaste tente qui permet les réunions et accueille les voyageurs de passage. C’est là que l’on sert successivement, dans des tasses de porcelaine ou de petits verres, le thé très sucré, le café à la cardamome, tenus au chaud sur des braises à même le sol, tandis que les vieux chantonnent ou jouent de la musique jusqu’à ce que les invités, épuisés, s’endorment sur les lourds tapis de laine. Malgré le froid nocturne, il est interdit de rabattre les montants de toile qui protégeraient du vent : « si on le fait, le « shik » peut être considéré comme un habitat en dur, donc illégal, donc susceptible d’être abattu… »
Dans le village d’Al Alsir, Khalil Al Amour, informaticien, enseignant, mais aussi autodidacte, ne se prive pas d’ironiser en nous faisant visiter ses installations : eau courante mais aussi système de récupération des eaux usées, appareillage électrique fonctionnant à l’aide de capteurs solaires et même accès au réseau internet. «Je me suis branché sur une ligne israélienne, j’ai installé le « wi fi » et même si je n’ai pas de domicile légal je me suis doté d’une adresse électronique que tout le monde connaît ». En outre, pour signaler l’existence de son village qu’aucune carte n’indique, Khalil a dressé à l’entrée une plaque de signalisation originale : un triangle indiquant « attention danger, des bulldozers détruisent des maisons ».
Alors que sa famille est installée à Al Alsir depuis 1921, Khalil nous livre l’une des raisons de l’expulsion méthodique des Bédouins : « demain, en pédalant, vous contournerez la base aérienne militaire de Nevatim, qui est destinée à s’agrandir davantage à l’avenir. En effet, depuis la restitution du Sinaï à l’Egypte, c’est dans le Neguev qu’Israël a rapatrié ses bases militaires. Notre désert, situé à l’extrême sud du pays, revêt soudain un intérêt stratégique… »
Le Neguev est aussi un territoire où se mettent encore en œuvre les principes fondateurs du sionisme, « faire refleurir le désert », « planter de arbres »…
Si Yeela Ranan enseigne dans un collège israélien à Beer Sheva, elle est aussi militante du « Neguev coexistence forum » qui rassemble militants arabes et israéliens et elle est aussi la championne nationale du moutain bike.
Apprenant que des Belges, moitié sportifs, moitié militants, organisaient une expédition dans le Néguev, elle n’a pas hésité un instant et a rejoint le groupe avec son engin doté, à la différence des bécanes des voyageurs, d’un formidable système de suspension, annulant quasiment tous les chocs.
Guidant le groupe à travers la forêt d’Al Yassir, méthodiquement plantée de résineux et d’eucalyptus, elle a fait découvrir au groupe une « voie romaine » en fait un chemin hérissé de pierres, montant et descendant en direction du village de Drijat, littéralement « escalier », (une agglomération qui, elle, est reconnue et où vivent des Arabes d’ascendance turque, et non des Bédouins). En fait de « voie romaine », l’escalier de pierres s’est avéré un véritable casse pipe où les plus fragiles des vélos ont rendu leurs boyaux et où plusieurs cyclistes ont frisé l’insolation. Au sortir d’une imposante forêt, entièrement artificielle, et jalonnée d’aires de pique nique et d’espaces récréatifs, signes avant coureurs de futures ambitions touristiques, Yeela précise : « j’aime les arbres, sauf quand ils servent à chasser les hommes. Ici, le Fonds national juif (JNF) plante des forêts sur des terres qui appartenaient naguère aux Bédouins, ce qui rend leur retour impossible… »
C’est cela aussi que les Bédouins ne comprennent pas : pourquoi, dans le même temps, les autorités retournent-t-elles leurs champs et déracinent-t-elles leurs oliviers, alors qu’elles plantent des forêts entières ? Pourquoi l’argumentation officielle avance-t-elle que les villages bédouins, composés de quelques familles, sont trop petits pour pouvoir bénéficier de services de base (eau, électricité) et poursuivre leurs activités économiques traditionnelles alors que, dans le même temps, dans la même région, de petites localités juives, comptant moins de 300 habitants, bénéficient de toutes les facilités et que l’implantation de nouveaux venus ne cesse d’être encouragée par les autorités?

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