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dimanche 27 février 2011

Le marché de l’huile d’Argan

Enquête diagnostic
Le marché de l’huile d’Argan et son impact sur les ménages et la forêt
dans la région d’Essaouira MAROC

Introduction
L'huile d’argan est devenue l'une des huiles comestibles les plus chères dans le monde. Elle est encore plus chère comme produit cosmétique et est le sujet de plusieurs brevets cosmétiques aux USA et en Europe. Cette huile, qui a été une source de revenus des habitants du Sud-Ouest du Maroc pendant des siècles, a connu un regain d’intérêt avec les diverses découvertes de ses vertus culinaires, cosmétiques et même médicinales. Ceci a engendré une croissance importante du marché de haute valeur d’argan lors de cette dernière décennie. Les ONG, les agences de développement nationales et internationales et les coopératives locales de l’huile d’argan ont joué un rôle central dans ce boom du marché d’argan avec comme objectif principal l’amélioration des revenus des populations locales et la conservation de la forêt d’argan.
Par ailleurs, la «théorie de conservation par le biais de la commercialisation» se rapportant à l’huile et aux autres produits non ligneux en vue d’aboutir à la fois à un développement économique et à la conservation de l’environnement, a suscité lors de dernières décennies l’intérêt des chercheurs et des développeurs.
L’objectif de cette étude est ainsi d’étudier l’impact de la croissance du marché d’argan sur le développement socio-économique de la population locale et sur la conservation de la forêt. L’approche de travail adoptée a consisté en l’évaluation de l’impact du marché d’argan sur un échantillon de ménages de la forêt d’argan dans le Sud-Ouest du Maroc (Smimou, région d’Essaouira) avant le boom d’argan en 1999 et après la montée en flèche des prix d’argan en 2007.
Situation de la forêt de l’arganier et du marché de l’huile
L'arganier (Argania spinosa) est endémique au Maroc où il est classé en seconde place en termes de couverture après le chêne-liège. Ses racines profondes jouent un rôle important dans la stabilisation des écosystèmes arides et constituent un obstacle important à l’avancement des déserts. En reconnaissance de sa valeur écologique et économique locale, la région forestière de l'arganier a été déclarée Réserve de Biosphère par l'UNESCO en 1998.
La forêt d’Argan est précieuse pour les autochtones qui utilisent quotidiennement ses divers produits: le bois et le charbon de bois pour le chauffage et la cuisson, le bois pour la menuiserie et la construction, les feuilles et les fruits pour la nourriture du bétail et l'huile pour les utilisations culinaires, cosmétiques et médicinales. En effet, près de 90 % de l'économie rurale de la région d’argan dépend du système agro-forestier de l’arganier.
L’exploitation de la forêt et l’accès aux fruits d’argan est collective dans la plupart des cas. Toutefois, certains ménages ont des arbres d’arganiers privés sur leurs terres. Au cours de la période de récolte des fruits (Mai à Septembre), une partie de la forêt est exploitée individuellement pour la collecte des fruits selon le droit appelé droit d’agdal. L’autre partie de la forêt appelée azroug est exploitée collectivement durant toute l’année que ce soit pour la collecte des fruits, du bois ou le pâturage.
Toutefois, la forêt de l’arganier est confrontée à diverses menaces. En effet, près de la moitié des forêts de l'arganier a disparu au cours du 20ème siècle. Cette forte régression est due à l’exploitation de la forêt, notamment pour la fabrication du charbon de bois de haute qualité, à la forte pression pour le pâturage, la collecte du bois et le gaulage, et plus récemment à la conversion vers la production agricole des cultures d’exportations et la forte demande en immobilier rural.
L’huile extraite des fruits de l’arganier présente des propriétés culinaires, cosmétiques et médicinales intéressantes. Grâce à ces propriétés, cette précieuse huile a attiré l’attention de scientifiques, de touristes, d’entrepreneurs et de grandes firmes cosmétiques à travers le monde, ce qui a aboutit à sa forte demande et au développement d’un marché de haute valeur. Durant les années 1990, ce marché de haute valeur de l’huile d’argan a été accompagné par des efforts de développement, notamment des femmes rurales qui sont les plus impliquées dans les activités d’argan, et de conservation à travers la création de coopératives féminines de production de l’huile d’argan à travers la région de l’arganier. Ces coopératives ont été assistés par des organismes nationaux (Ministère de l’Agriculture, Universités, ODECO, ADS,...) et internationaux (GTZ, UE,…) en vue de l’amélioration des techniques d’extraction, d’emballage, d’étiquetage et de labellisation pour la production d’une huile de haute qualité accessible aux marchés d’exportation.
Le nombre de coopératives féminines de production de l’huile d’argan est passé de quelques unes, comptant quelques centaines de femmes en 1999, à plus de 100 regroupant près de 4000 femmes en 2007. Ces coopératives sont organisées au sein d’unions ou d’associations de coopératives féminines de production d’argane (UCFA) ou au sein de groupements d’intérêts économiques (GIE). En Janvier 2008, l’Association Marocaine pour l’Identifica-tion Géographique d’Huile d’Argane (AMIGHA) a été crée à l’initiative du Conseil Régional du Souss Massa Drâa. Cette association regroupant tous les partenaires de la filière de l’huile d’argan a pour mission de faire reconnaître et de mettre en œuvre l’Indication Géographique Protégée (IGP) de l’huile d’argan dans le cadre de la loi 25/06 relatives aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ).
La production d’argan varie largement d’une année à l’autre, notamment en fonction des fluctuations des précipitations. Il n’existe pas de chiffres officiels relatifs à la production de fruits d’argan. Historiquement, une partie de fruits d’argan est collectée manuellement entre Mai et Septembre l’autre partie est collectée indirectement par les chèvres. Actuellement, avec l’évolution de la valeur des fruits d’argan et les exigences de qualité, la majeure partie des fruits est collectée manuellement puisque les graines collectées à travers les chèvres sont de moindre qualité.
Le marché d’argan a connu une évolution spectaculaire entre 1998 et 2007 (figure 1). Le prix des fruits d’argan dans les souks hebdomadaires a presque doublé entre les deux années d’enquête 1999 et 2007 et a augmenté plus rapidement que le prix de l’huile d’argan en raison de la forte demande des fruits par les marchés de l’huile d’argan de haute valeur (coopératives, sociétés privées).
Les prix des amendons d’argan ont suivi la même tendance que celle de l’huile d’argan et ont connu une augmentation substantielle en raison de la forte demande grandes sociétés privées du business de l’huile d’argan et qui opèrent dans les grands souks hebdomadaires de la région d’argan, par l’intermédiaire de collecteurs de graines.
La forte demande en huile d’argan n’a pas uniquement aboutit à l’augmentation des prix des produits d’argan mais également à une différenciation significative dans les marchés d’argan. En effet, il existe deux types d’huiles d’argan, l’une culinaire, extraite à chaud après torréfaction, et l’autre cosmétique préparée à froid, généralement mécaniquement à l’aide de machines spéciales.
L’huile culinaire, historiquement disponible et commercialisée uniquement dans la région d’argan et dans certaines villes environnantes, est actuellement commercialisée à travers tout le Maroc et dans le monde entier. Ses prix varient largement, de 200 Dh/litre localement dans les souks hebdomadaires, à plus de 20 fois ce prix dans les restaurants haut de gamme de Paris ou New York.
Le marché de l'huile d'argan cosmétique a également explosé au cours de la dernière décennie. Le vaste savoir traditionnel des populations de la région d'argan, qui utilisaient cette huile comme produit cosmétique depuis des siècles, a attiré l’attention des chercheurs, des grandes firmes de cosmétiques et des touristes depuis des décennies. Ayant confirmé l’importance des propriétés chimiques de cette huile pour un usage cosmétique et esthétique, voire médicinal, celle-ci a pu être commercialisée dans les marchés internationaux de haute valeur. Les prix de l’huile cosmétique dépassent de loin ceux de l’huile culinaire. Au détail, elle est plus de 4 fois plus chère (50 Dh les 50 ml).
La croissance du marché de l’huile d’argan a été favorisée par l’amélioration des techniques d’emballage et d’étiquetage et par la certification par certains organismes tels que AlterEco et Max Havelaar. L’Indication Géographique Protégée (IGP) pour l’huile d’argan du Maroc donnera davantage de valeur au marché de l’huile d’argan et protégera en plus cette huile des piratages et des tricheries. Ce label permettra également de protéger les coopératives féminines de production de l’huile d’argan contre les déguisements des sociétés privées.
Méthodologie de l’enquête
Les données utilisées dans le présent travail ont été recueillies en deux phases lors d'une enquête auprès des ménages. La première a été effectuée en 1999 correspondant au début des changements dans les marchés d'argan et la seconde a été réalisée en 2007 après les profonds changements opérés dans les marchés d’argan. L’enquête a porté sur les mêmes ménages lors des deux années pour l’évaluation de l’impact du changement des marchés d’argan sur ces ménages et sur la forêt d’argan. L’enquête s’est déroulée dans la zone administrative de la Caïdat de Smimou relevant de la Province d’Essaouira. Une méthode d’échantillon-nage stratifiée a été adoptée en tenant compte de la densité de la forêt (faible, moyenne, haute) et de la répartition géographique des douars (choix de deux douars par classe de densité). L’échantillon a été complété par quatre autres douars situés à proximité de deux coopératives féminines de l’huile d’argan pionnières dans la région pour étudier l’impact de celles-ci sur les ménages qui s’y adhèrent. Au sein de chaque douar, les ménages ont été sélectionnés sur la base du droit d’agdal (peu ou beaucoup d’agdals). Pour chaque ménage, l’enquête a concerné séparément les chefs de foyer, homme et femme.
Pour chaque douar choisi, environ 20 ménages ont été enquêtés en 1999, soit un échantillon total de 149 ménages. Parmi ces 149 ménages, 46 n’ont pas été ré-enquêtés en 2007 pour des raisons de décès ou de maladie du chef de ménage (22 ménages), de migration (9 ménages), d’absence (14 ménages) et de refus d’être enquêté (1 ménage). Sur les 103 ménages restants, neuf seulement sont composés uniquement de l'épouse du chef de ménage, et sept sont composés uniquement du chef de ménage. Il reste donc 87 ménages pour lesquels les données sont complètes.
L’approche empirique qui a été adoptée dans cette étude se fonde sur l’évaluation de l’impact du boom du marché d’argan sur les changements socio-économiques survenus au niveau des ménages entre 1999 et 2007 (richesse, bien-être, éducation,…). Mais, il y a aussi lieu de signaler les autres changements, en plus du boom du marché d’argan, survenus lors de cette période. Concernant la production totale des fruits d’argan entre 1999 et 2007, les données réelles n’existent pas, mais selon les déclarations des locaux, la production en 2007 est plus élevée que celle d’autres années y compris 1999 qui a été médiocre. Aussi, il faut noter que l’effectif du troupeau caprin dans la province d’Essaouira, révélateur à la fois de la richesse et du bien-être des ménages et de la pression sur la forêt d’argan, a augmenté à partir 1995 avec des fluctuations annuelles liées à la variabilité des précipitations. Ceci indique que l’explosion des prix des produits d’argan à partir de 1998 ne s’est pas traduite par une réduction globale de la pression sur la forêt d’argan à travers la diminution de l’effectif du troupeau caprin. Enfin, il faut signaler que le coût de la vie (indices des prix) dans la région de la forêt d'argan a augmenté de près de 25 % entre 1999 et 2007, ce qui pourrait affecter les revenus et les dépenses des ménages et nuancer les bénéfices qui seraient tirés du marché d’argan.
Une enquête coopérative a été également réalisée pour étudier les conditions et les contraintes de fonctionnement des coopératives féminines de production de l’huile d’argan. Notre choix a porté sur quatre coopératives de la région de Smimou distinctes par l’ancienneté, le niveau d’organisation et d’encadrement et la proximité des axes routiers touristiques.
Principaux résultats de l’étude
Impact sur la richesse des ménages
Normalement si l’essor de la filière argan a bénéficié aux ménages ruraux de la forêt d’argan, nous pourrions s’attendre à l’amélioration de leur richesse. Dans cette étude, la richesse a été évaluée sur la base d’un indice de richesse des ménages pour 1999 et 2007 qui tient compte des droits d’agdal, des biens fonciers, des troupeaux bovins, ovins et caprins, des dépenses au souk hebdomadaire et plus particulièrement des dépenses en viande caprine. Les résultats montrent qu’il ya une légère amélioration de la richesse des ménages dans la zone d’étude (Figure 2). Cependant, il n’est pas certain que cette amélioration soit attribuée à l’explosion du marché d’argan. L’examen plus détaillé des résultats montre que cette richesse est plus concentrée dans la zone de forêt à moyenne densité. Aussi, il n’est pas très net que les ménages des douars abritant une coopérative ont connu une augmentation de leurs richesses par rapport aux douars sans coopérative.
Impact sur les activités liées à l’arganier
Dans cette partie, nous avons évalué les changements qui ont été opérés au niveau des ménages entre 1999 et 2007 en matière de production, de stockage, de vente et de consommation des produits d’argan. Les résultats de l’enquête montrent que la production d’huile d’argan des ménages a été près de trois fois plus élevée en 2007 qu’en 1999. Les ménages ont tendance à stocker plus l’huile d’argan et à en consommer près de moitié moins qu’auparavant. La quantité de fruit collecté par ménage est plus importante en 2007 qu’en 1999 pour les zones de faible et de moyenne densité de la forêt d’argan, tandis qu’elle n’a pas changée dans la zone de haute densité. Ces résultats s’expliquent par l’importante production de fruits d’argan en 2007. Le nombre de ménages collectant les fruits dans les zones communes azroug a plus que doublé en 2007. Les ménages ont également tendance à collecter les fruits manuellement que de laisser les troupeaux de chèvres les manger directement sur l’arbre. Le changement le plus spectaculaire est le stockage des fruits par les ménages qui a presque triplé entre 1999 (207 kg) et 2007 (581 kg). Les fruits d’argan stockés constituent une sorte de compte bancaire pour les ménages. Les fruits d’argan constituent désormais une composante importante du revenu de l’agriculteur en raison de sa forte demande par les marchés de haute valeur (coopératives et sociétés privées). Enfin, les ventes des fruits et de l’huile d’argan ont connu une augmentation importante entre 1999 et 2007.
Impact sur le bien-être des ménages
Trois indicateurs ont été utilisés pour l’évaluation du changement du bien être des ménages entre 1999 et 2007: la consommation, les biens ou actifs des ménages et l’éducation. La consommation est évaluée par les dépenses au souk hebdomadaire; les biens des ménages sont évalués par la taille du cheptel, en particulier caprin, étant donné que l’élevage constitue un actif essentiel et une réserve principale de richesse des ménages; et l’éducation est évaluée par la transition des enfants, par sexe, de l’école primaire à l’école secondaire qui constitue un vrai problème dans le milieu rural (environ 80% des enfants ruraux qui commencent l'école primaire ne parviennent pas à faire cette transition).
Les résultats montrent que les ménages qui ont bénéficié le plus du boom d’argan sont ceux qui collectent plus de fruits d’argan. Ces ménages engagent plus de dépenses dans le souk hebdomadaire et investissent plus dans l’élevage caprin. Ce dernier résultat semble contradictoire avec la théorie de conservation gagnant-gagnant étant donné que le bénéfice tiré des produits de la forêt se transforme en une menace pour celle-ci à travers l’impact négatif que constituent les chèvres pour les arbres d’arganier. Concernant l’éducation, les résultats sont différents pour les filles et les garçons. Ce sont les filles des ménages ayant bénéficié du changement du marché d’argan qui profitent le plus du passage de l’école primaire à l’école secondaire. Il semble que le rôle important que joue la femme dans le développement rural à travers, en particulier, sa forte participation dans les activités des coopératives de production de l’huile d’argan a joué sur la décision des ménages à laisser continuer la scolarisation de leurs filles à l’école secondaire pour espérer les impliquer davantage dans l’avenir dans les marchés d’argan de haute valeur (coopératives, sociétés privées).
Impact sur la forêt d’argan
Vu le rôle écologique important que joue l’arbre d’arganier pour la préservation de l’écosystème agro-forestier du Sud-Ouest du Maroc et vu le fait que les résidents locaux pourraient constituer une menace réelle pour la forêt d’arganier à travers l’exploitation de ses produits, la conservation de cette forêt constitue souvent l’un des objectifs centraux des coopératives en plus de l’objectif principal de la valorisation de l’huile d’argan pour son accessibilité au marché de haute valeur en vue de l’amélioration des revenus de la population locale en général et de la femme rurale en particulier. Les résultats de cette étude concernant l’évaluation de l’impact du boom du marché d’argan sur la forêt d’arganier entre 1999 et 2007 montrent qu’il y a de plus en plus de conflits entre les habitants sur les ressources de la forêt d’arganier se traduisant par des clôtures, parfois illégales, des arbres d’arganier. Malgré les efforts individuels des résidents pour protéger leurs arbres privés, leurs attitudes et leurs comportements envers la forêt ne fait pas apparaître une tendance générale de conservation de la forêt d’argan. En effet, les habitants perçoivent que la coupe illégale des arbres et le surpâturage ne constituent que de petits problèmes pour la forêt. Aussi, les habitants sont devenus plus agressifs pour la collecte des fruits dans la forêt d’argan à travers l’utilisation de la pratique de gaulage qui peut causer des dommages importants pour les arbres. Cette pratique, qui consiste à frapper les branches des arbres à l’aide de bâtons ou de pierres pour faire tomber les fruits avant leur maturation, est le résultat de l’accroissement des actes de vols de fruits d’argan dans la forêt en raison de l’augmentation de la valeur de l’huile d’argan. Enfin, le résultat le plus surprenant est la forte tendance des habitants à l’utilisation du bois d’argan en 2007 comme source d’énergie au lieu du butane (augmentation de 75 % en 2007 par rapport à 1999). Ce résultat est d’autant plus surprenant que le butane est subventionné au Maroc et son prix, qui n’a pas changé entre 1999 et 2007, ne pourrait donc pas être coupable pour l’explication de cette tendance. Selon les locaux, cette tendance trouve son explication dans l’augmentation du coût de la vie et la stagnation des revenus des ménages, ce qui les pousse à chercher les stratégies d’économie de dépenses à travers la recherche de solutions gratuites pour faire face aux besoins quotidiens en énergie. Ce résultat, comme le cas de l’investissement dans l’achat des chèvres, est également contradictoire avec la théorie conservatrice gagnant-gagnant étant donné la menace que peut constituer cette pratique sur la forêt d’argan. On peut donc conclure qu’à l’exception de certaines initiatives individuelles des habitants pour la protection des arbres privés, le boom du marché d’argan n’a pas instauré un comportement collectif de conservation à long terme de la forêt d’argan.
Situation des coopératives féminines de production de l’huile d’argan
Les principaux résultats de l’enquête coopérative montrent que les coopératives qui ont bénéficié d’un encadrement et d’un soutien des organismes nationaux et internationaux et qui sont organisés dans des groupements d’intérêt économique (GIE) ou dans l’Union des Coopératives Féminines d’Argane (UCFA) arrivent à pénétrer dans les marchés de haute valeur et à réaliser des chiffres d’affaire relativement importants en raison de l’amélioration des techniques et des conditions d’extraction et des pratiques d’emballage et d’étiquetage. Par ailleurs, la situation sur l’axe routier touristique Agadir-Essaouira améliore davantage le chiffre d’affaire de la coopérative suite à l’afflux fréquent de touristes. Les coopératives récemment constitués et ne bénéficiant pas d’un encadrement suffisant et situées loin des axes routiers touristiques ont par contre du mal à s’impliquer dans les marchés de haute valeur; leurs clients principaux restent les autres coopératives pionnières. Toutefois, pour l’ensemble des coopératives enquêtées, les problèmes de gouvernance, de gestion administrative et financière, d’analphabétisme des adhérentes et de concurrence des sociétés privées constituent les principales contraintes. Pour pallier en partie à ces problèmes des activités parallèles d’alphabétisation des adhérentes sont réalisées et des sessions de formation, sont effectuées au profit des représentantes des coopératives. Par ailleurs, la disponibilité de la matière première (fruits d’argan) et la dégradation de la forêt restent les problèmes fondamentaux qui menacent la durabilité des coopératives. La sensibilisation des adhérentes sur le danger de ces problèmes et l’importance de la conservation de la forêt constituent l’un des objectifs centraux des coopératives.
Conclusions
Nous concluons que le boom d’argan n’a que légèrement bénéficié à la richesse des ménages. Néanmoins, l’évolution du marché d’argan a incité les ménages à stocker plus de fruits d’argan et à les considérer comme une sorte de trésorerie du foyer. Les ménages ayant bénéficié du boom d’argan engagent plus de dépenses au souk hebdomadaire et investissent plus dans l’achat du cheptel caprin. Ces ménages sont plus susceptibles d’envoyer leurs filles à l’école secondaire. Toutefois, les résultats de cette enquête montrent que les ménages ne montrent pas un comportement collectif à long terme pour la conservation de la forêt puisqu’ils continuent à pratiquer des techniques agressives pour la collecte des fruits (gaulage) et à utiliser davantage le bois d’argan pour l’énergie. Le surpâturage aggrave le problème étant donné que les ménages profitant du boom d’argan continuent à investir dans l’élevage caprin très menaçant pour la forêt d’argan. L’organisation des coopératives féminines de production de l’huile d’argan dans des groupements d’intérêts économiques et l’amélioration des techniques de production et de marketing est un moyen important pour accéder aux marchés de haute valeur de l’huile d’argan. Mais, les principaux problèmes qui entravent le bon fonctionnement, voire la durabilité des coopératives, sont le problème de bonne gouvernance, l’analphabétisme des adhérentes, la concurrence des sociétés privées, la disponibilité de la matière première (fruits d’argan) et la dégradation de la forêt. Ce dernier problème constitue l’axe central des séances de sensibilisation des adhérentes au niveau des coopératives.
Nous terminons par quelques constats et recommandations au terme de cette étude et suite aux dernières évolutions du marché d’argan en 2008. La faible disponibilité de la production des fruits d’argan en 2008 a engendré une augmentation spectaculaire des prix de tous les produits d’argan (fruits, noix, amendons et huile). L’émergence d’un nouveau marché des amendons exigeant en matière de qualité (amendons non collectés via les chèvres) est susceptible de limiter la pression des chèvres sur la forêt lors de la saison d’agdal (Mai à Septembre). Cette nouvelle tendance du marché a incité les ménages à réduire le coût de production en se limitant à la vente des amendons. La vente de l’huile d’argan étant moins rentable. Toutefois ce problème de disponibilité des fruits d’argan a mis en difficulté les coopératives ne disposant pas de stocks suffisants en fruits.
Etant donné l’importance capitale que jouent les coopératives de production dans la valorisation de l’huile d’argan à travers son accessibilité aux marchés de haute valeur (exportation) et dans la sensibilisation des habitants sur l’intérêt de la conservation de la forêt, il est important d’accorder davantage d’attention au développement de ces coopératives notamment à travers la formation de leurs responsables et de leurs adhérentes et surtout de les protéger de la concurrence des sociétés privées à travers la certification de leurs produits et la recherche des circuits de commercialisation nationaux et internationaux (commerce équitable, grandes distributions, sociétés cosmétiques et pharmaceutiques,…). L’indication géographique protégée (IGP) de l’huile d’argan récemment demandée officiellement par l’AMIGHA dans le cadre de la nouvelle loi 25/06 sur les signes distinctifs d’origine et de qualité serait d’une grande utilité pour l’amélioration de la valeur de l’huile d’argan et surtout pour la protection des coopératives de production de l’huile d’argan contre l’arnaque des sociétés privées.
Enfin le défi le plus important reste de changer la perception des habitants d’une vision de protection des arbres à plus court terme pour l’amélioration de la production de fruits à une vision à plus long terme pour une conservation de la forêt. Ceci passerait par davantage de sensibilisation des populations par tous les moyens de communication (médias, souks, mosquées,…) et surtout par l’implication de cette culture de préservation du patrimoine de la forêt d’argan dans les programmes de formation au sein des écoles primaires et secondaires de la région d’argan.
Dr. Abdellah Aboudrare (1), Dr. Travis J. Lybbert (2) et Nicholas Magnan (2)
(1) Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès
(2) Université de Californie à Davis

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