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mercredi 20 mars 2013

Produits phytosanitaires : contrefaçons et trafics transversaux

Alors que les pouvoirs publics se mobilisent pour encadrer davantage commerce et distribution de produits phytosanitaires, les moyens manquent pour débusquer les trafics illégaux et les contrefaçons.
À l’occasion d’un point-presse sur le suivi du plan Écophyto, qui s’est tenu le 9 octobre dernier, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a enfin évoqué en public la question des importations illégales et des contrefaçons de produits phytopharmaceutiques. Dans ce cadre, il a promis de renforcer le contrôle effectué par la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). « Bonne nouvelle, mais ce problème ne date pas vraiment d’aujourd’hui ! », a rétorqué Daniel Roques, le président d’Audace, une association qui regroupe utilisateurs et distributeurs européens de produits phytosanitaires. Fin connaisseur du dossier, ce dernier a déposé sa première plainte en 2002 contre la société Endres Merath, pour contrefaçon d’un produit à base de deltaméthrine, le Deltamex. Depuis, les cas de contrefaçons de produits phytosanitaires se sont multipliés, sans que les locataires successifs de la rue de Varenne n’y aient porté d’attention particulière.
Et pourtant, le sujet est régulièrement évoqué dans les médias. L’hebdomadaire Marianne y a consacré un article en février 2009, L’Expansion en mars 2010 et France24 en septembre 2011. Plus récemment (le 24 juin 2012), Le Parisien a évoqué dans ses colonnes « un trafic aux mains des mafias ». Selon le porte-parole d’Europol, Søren Pedersen, ce trafic représenterait 5 % à 10 % du marché des produits phytosanitaires. Soit plusieurs centaines de millions d’euros ! Ce qui fait un peu beaucoup pour l’unique cellule de la BNEVP, composée seulement de... quatre personnes !
Lors de l’audition parlementaire sur les pesticides qui s’est déroulée le 17 juillet 2012, ce problème a été amplement traité. La juge d’instruction Annaïck Le Goff, du pôle santé publique de Marseille et qui instruit actuellement plusieurs affaires, a souligné à cette occa- sion qu’elle« constatait les dégâts induits par la libre circulation des produits ». En effet, le manque d’harmonisation communautaire en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, conjugué à la libre circulation des biens, contribue incontestablement à accroître la tentation de s’affranchir de la loi. L’interdiction de certaines formulations en France, autorisées en revanche chez nos voisins, crée une concurrence aussi déloyale qu’inadmissible entre producteurs. On comprend que certains syndicats – notamment les Jeunes agriculteurs (JA) – aient lancé des opérations médiatiques à plusieurs reprises afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur cette situation ubuesque. Certes, l’adoption du règlement communautaire 1107/2009, qui instaure un système de reconnaissance mutuelle des produits phytosanitaires non plus par pays, mais selon trois grandes régions européennes (nord, centre et sud), est censée apporter davantage de cohérence à la législation européenne depuis 2009. Toutefois, dans la réalité, ce règlement n’a pas changé la donne, les États-membres ayant conservé la possibilité de limiter ou de rejeter les autorisations accordées dans un autre État-membre. Le cas de l’interdiction récente des semences de colza traitées Cruiser OSR en France, semences qui sont autorisées dans tous les autres pays de l’Union européenne et sont de surcroît produites et traitées dans l’Hexagone, constitue un exemple frappant de cette tendance malheureuse au repli national. Avec pour conséquence d’accentuer davantage le sentiment d’injustice auquel sont confrontés les producteurs français. Et d’ouvrir la porte aux pratiques illégales...

Des écarts de prix considérables


L’affaire se complique encore lorsque l’on prend en compte le coût des produits. Pour une même substance, le différentiel peut en effet être significatif d’un pays à l’autre. Comme le note Dominique Julien, de la BNEVP, « la différence de prix est notamment liée à la redevance sur la pollution diffuse (RPD), qui est calculée au prorata de la dangerosité du produit. Elle peut représenter près de 40% de la différence. » Afin de protéger le marché français, l’État –et les firmes– ont dans un premier temps cherché à interdire tout commerce intra-communautaire de produits phytosanitaires. En tout cas jusqu’en 2001, date à laquelle un décret du ministère de l’Agriculture a finalement autorisé les importations dites parallèles. Un cadre bien défini a été établi, stipulant les conditions nécessaires à l’achat et à la revente des produits. Ce « permis d’importer » est ainsi accordé lorsque le produit possède une autorisation de mise sur le marché dans le pays d’origine et en France, et qu’il porte un étiquetage formulé en français et comportant les mentions réglementaires françaises. Prohibitif en raison de son coût –estimé à 800 euros–, ce permis a fait l’objet d’une contestation manifeste de la part des JA, qui ont réagi en organisant une distribution publique de plus de 10 tonnes de produits importés illégalement d’Espagne, à Nîmes en 2006.

Fraudes aux frontières


Le caractère irrationnel de la législation communautaire sur les produits phytosanitaires a ouvert la voie à différents types de trafics, qui vont des plus simples aux plus sophistiqués. Le cas le plus courant est le suivant : un agriculteur –ou un groupe d’agriculteurs – frontalier achète son produit à l’étranger, sans avoir obtenu au préalable le fameux « permis d’importer ». Bien que l’infraction puisse être considérée comme mineure, la fraude reste manifeste, d’autant plus que la redevance pour pollution diffuse n’est pas payée. L’annonce récente de Stéphane Le Foll concernant une possible fiscalité « incitative afin de faire évoluer la redevance sur les produits phytopharmaceutiques » n’est certainement pas la mesure la plus intelligente pour réduire ce commerce illégal qui, selon les professionnels, pourrait déjà atteindre 25% du marché dans les régions frontalières !
En revanche, il est difficile de trouver une quelconque excuse aux agriculteurs qui achètent un produit interdit en France. Une enquête remise aux autorités françaises il y a déjà plusieurs années signalait plusieurs cas, notamment des fraudes commises via l’achat de produits à base de simazine, de terbuthylazine et de bénomyl, des substances que l’on retrouve dans les eaux de surface des régions sujettes à ces importations illégales. Les distributeurs à l’origine de ces ventes ont été identifiés, en particulier la société espagnole Cazorla, qui est citée dans le reportage de France24. Une équipe de détectives a remis un rapport concluant –photos à l’appui– que cette société, domiciliée à moins de 20 kilomètres de la frontière franco-espagnole, reçoit chaque jour un nombre important de clients venant de France, pour un usage soit personnel, soit collectif. Suite à cette enquête, l’association Audace est intervenue pour recadrer cette société, qui figurait parmi ses adhérents. « La mention, sur le tarif Cazorla, d’« herbicides interdits » ne réduit en rien le caractère inexcusable de l’offre », s’est insurgé son président, qui n’a pas hésité à prononcer l’exclusion de la firme espagnole. Et pour cause ! L’enquête a révélé que la fraude allait bien au-delà des ventes de formulations interdites...
L’escroquerie de Cazorla prend en effet une tout autre dimension lorsqu’on découvre que l’origine de ses produits est plus que douteuse. Certains d’entre eux sont conditionnés dans de nouveaux contenants « dans le seul but de faire disparaître leur traçabilité ». Or, pour le président d’Audace, la contrefaçon constitue bel et bien le cœur du problème des trafics frauduleux. Et ceux-ci vont bien au-delà du cas de Cazorla, dont le trafic ne s’est jamais aussi bien porté. Selon un distributeur du Sud-Est, l’essentiel des désinfectants de sol, comme le dorlone, le métamsodium ou le basamid, sont achetés en Espagne. Le Chlorpyriphos ou l’Abamectin sont aussi très concernés, avec des génériques non homologués en France. « Carzola est toujours très actif, il effectue des relances téléphoniques, envoie ses tarifs par mail et organise des filières approvisionnement. Mais à la différence des années précédentes, les personnes impliquées restent plus discrètes », remarque-t-il.

La boîte de Pandore


« Tel qu’il a été rédigé en avril 2001, le décret du ministère de l’Agriculture encadrant les importations parallèles a ouvert une véritable boîte de Pandore. Or, à l’époque, nous avions averti les pouvoirs publics », se souvient Daniel Roques. Pour lui, des sociétés comme Endres Merath sont littéralement « nées du décret de 2001 ». Certaines d’entre elles ne sont d’ailleurs que de simples boîtes aux lettres pour distributeurs connus. C’est le cas de Cera Chem, domiciliée au Luxembourg et condamnée une première fois au tribunal de grande instance de Paris le 12 janvier 2007 pour avoir« commis des actes de contrefaçon par imitation au préjudice de la société DuPont de Nemours ».
Annaïck Le Goff partage l’avis du président d’Audace. « Nous observons un dévoiement total de la réglementation sur les importations parallèles. Lorsqu’une autorisation est délivrée, le contrôle à l’entrée se limite nécessairement à un contrôle documentaire. Il est interdit, dans ces situations, de procéder à des analyses, et la traçabilité des produits n’est pas vérifiée au nom du principe intangible de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence », explique la magistrate.
Plus précisément, Daniel Roques estime que « les contrefaçons sont, principalement, la conséquence de la permissivité que le décret a ouverte en laissant libre cours aux reconditionnements totaux et au transvasement d’un produit original dans un nouveau bidon »« C’est le sésame de la fraude », résume-t-il. À partir d’une matière active importée, souvent produite en Chine ou en Inde, les trafiquants obtiennent une formulation conditionnée dans des bidons qui portent l’étiquette d’un produit pour lequel ils ont obtenu un permis d’importation parallèle. Or, la qualité de cette formulation est d’autant plus élevée qu’elle est réalisée par des entreprises spécialisées qui travaillent également pour les grandes firmes. « Dans l’un des dossiers que j’instruis, il s’agit du meilleur et du seul formulateur en France », indique Mme Le Goff. Ce professionnalisme explique qu’il soit difficile –même en procédant à des analyses – de vérifier que le contenant est bien conforme à l’étiquette. « Interdire le reconditionnement – sauf pour des cas très précis – ne va certes pas éliminer la contrefaçon, mais cela pourrait largement contribuer à la rendre plus laborieuse », estime Daniel Roques, qui se félicite qu’un nouveau décret, en date du 9 mai 2012, encadre enfin correctement le conditionnement. « Nous avons perdu douze années », regrette toutefois le président d’Audace. Soit le temps nécessaire pour que de véritables filières internatio- nales se mettent en place ! « Quatre ou cinq réseaux coexistent en Europe, imbriqués les uns dans les autres », confirme Catherine Collinet, de la BNEVP.

Une justice débordée


Autre difficulté soulevée par Daniel Roques : le manque de moyens de la justice. « J’ai déposé une plainte en 2003 au parquet d’Arras, et le procureur m’a répondu ne pouvoir donner suite car il n’avait que deux juges d’instruction, déjà submergés par des affaires criminelles », explique-t-il. En outre, dans certains cas, la preuve de la contrefaçon est difficile à établir.« Pour démontrer qu’il s’agit bien d’un produit contrefait, il faut que la justice dispose de la composition exacte du produit d’origine (niveau de pureté, adjuvants, etc.) », explique Daniel Roques.
Or, selon Mme Le Goff, « les firmes ne veulent pas dévoiler ce type de secret dans le cadre de l’enquête judiciaire, car les informations données sont consignées dans des dossiers portés à la connaissance des personnes appréhendées. Ces dernières pourraient alors utiliser ces informations à l’occasion de fraudes ultérieures. » Des propos que tempère Catherine Collinet : « Les entreprises phytopharmaceutiques sont venues, à notre demande, nous expliquer leurs secrets d’étiquetage. Cela nous a permis d’identifier les fraudes. » Elle concède que « venir à la brigade d’enquêtes phytosanitaires leur est plus facile que rencontrer les représentants du pôle de santé publique ». En réalité, la question est bien plus complexe. En effet, pour de nombreux produits, seuls des laboratoires très performants sont capables
de fournir des analyses suffisamment précises pour statuer. Or, du côté des fabricants, on admet volontiers ne pas vouloir nécessairement mobiliser de grands moyens si le trafic d’un produit n’est pas significatif. D’autant plus qu’il existe une solution plus simple pour éliminer le trafic : retirer le permis d’importation du produit. C’est d’ailleurs ce qui a été fait pour le STAR100, un produit commercialisé en France par... Endres Merath, et pour lequel l’absence d’identité avec le produit de référence avait été établie.

Le rôle clé des agriculteurs dans la chasse aux fraudes


Selon nos informations, seule une petite dizaine de cas portant sur plusieurs saisies seraient aujourd’hui en cours d’instruction. Plusieurs sont centralisés par Annaïck Le Goff, au pôle santé de Marseille. Parmi eux, un réseau opérant depuis l’Afrique du Sud sous couvert d’une société dont le siège social est à Monaco, et qui concerne plusieurs produits (fongicides et insecticides) des principales multinationales de l’agrochimie. « Nous avons réussi à endiguer la fraude sur le territoire français pour ce dossier, mais sans parvenir à couper la tête du réseau protégée par les dysfonctionnements de la coopération judiciaire internationale », explique Mme Le Goff. Pourtant, le pays « protecteur » n’est pas si loin, puisqu’il s’agit de l’Allemagne !
Par ailleurs, une filière belge opérant via Hongkong a été découverte suite à la saisie d’une centaine de kilos d’une contrefaçon chinoise d’un produit de DuPont, réalisée par les douanes de Nantes. Enfin, cinq tonnes d’un régulateur de croissance pour céréales à base d’éthéphon ont été saisies. La société mise en cause collait de fausses étiquettes au nom de Bayer CropScience sur un produit provenant d’Angleterre et à destination des pays de l’Est. « Quatre à cinq affaires devraient aboutir devant les tribunaux d’ici fin 2014 », indique Maurice Boureau, de la BNEVP.
Quoi qu’il en soit, le meilleur obstacle contre ces fraudes reste... les agriculteurs ! « Lorsqu’on achète un produit à un prix défiant toute concurrence et dont l’origine est douteuse, il faut se poser des questions », rappelle Daniel Roques. Ce sont d’ailleurs les membres de son association qui ont détecté une majorité des contrefaçons et ont fait remonter l’information aux personnes concernées.

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