«Recherche et innovation au SIAM : on ne passe pas de la 2CV à la Ferrari d’un seul coup !»
LE MATIN : Vous êtes, M. Loussert, agronome, professeur à l’IAV d’Hassan II, chercheur, auteur de plusieurs ouvrages sur l’olivier, l’amandier et les agrumes. Vous êtes installé depuis 35 ans au Maroc où vous avez fait de l’enseignement et de la recherche. Vous faites aujourd’hui, en tant que coordinateur de l’ALCESDAM,
association pour la lutte contre l’érosion, la sécheresse et la désertification au Maroc, du développement en réhabilitant des palmeraies. Vous avez été présent à toutes les éditions du SIAM. Qu’est-ce qui vous a marqué cette année ?
association pour la lutte contre l’érosion, la sécheresse et la désertification au Maroc, du développement en réhabilitant des palmeraies. Vous avez été présent à toutes les éditions du SIAM. Qu’est-ce qui vous a marqué cette année ?
Raymond Loussert : Le salon a grandi, la superficie couverte est plus importante et a permis une bonne circulation. J’ai été frappé cette année par la qualité des stands, plus esthétiques, parfois magnifiques et qui dépassaient de loin ceux que j’ai pu voir au Salon de l’agriculture de Paris. Cette année, il y a eu un effort décoratif, un effort au niveau du personnel mieux formé, un effort d’innovation, comme ce stand qui présentait du matériel qui fonctionne à l’énergie solaire et renouvelable avec des petits panneaux, comme ce matériel qui permet d’épurer l’eau. Dans le pôle produit, il y a eu la présentation de nouveaux produits comme celui à base de jus et de pulpe d’orange qui contient les huiles essentielles, Pulpy, qui a obtenu le trophée du meilleur produit. Dans le salon, il y avait également toute une avenue réservée à des associations qui présentaient leurs produits du terroir, la plupart labellisés, le safran, dont la culture est parfois irriguée au goutte-à-goutte, le henné bio, les huiles, les produits de beauté, le miel, les produits exotiques comme les mangues, le pitaya et le gombo, produits dans la région de Massa. Dans le pôle élevage, il y avait aussi des dromadaires qui faisaient le voyage depuis Laâyoune, un taureau de 1 500 kg de race blond d’Aquitaine… Il y avait également des restaurants, des cafés, des salons et des espaces de rencontres où des conférences, souvent de qualité, ont été données, comme celle relative à la fertilité des sols et du partenariat entre l’OCP, l’ENA de Meknès, l’IAV Hassan II, et la recherche agronomique qui permettra de cartographier l’ensemble des sols agricoles du Maroc, soit quel que 8 millions d’hectares en 2013, ce qui favorisera l’adaptation des cultures aux différents sols. J’ai présidé, pour ma part, des conférences sur la formation professionnelle agricole où deux expériences ont été présentées. La première est canadienne, c’est l’approche par compétence qui permet de trouver une adéquation entre la formation et l’insertion des jeunes, utilisée dans certains des 47 établissements techniques agricoles au Maroc. La seconde expérience a été présentée par M. Baudoux qui nous a montré comment le lycée agricole de Roanne rayonnait sur le territoire en faisant de la formation, mais aussi de l’animation, des concours, etc. ; il a également fait le point sur la 21e édition de l’opération de stage qui a lieu depuis 1990 et qui consiste à favoriser l’immersion dans le monde agricole de 200 à 250 stagiaires de première année de l’IAV de Hassan II de Rabat et de l’ENA de Meknès pendant deux mois dans les exploitations agricoles en France. Depuis le lancement de l’opération, il faut savoir que près de 5 000 stagiaires ont été accueillis en France et plus de 450 agriculteurs français accueillis au Maroc dans le cadre des échanges.
Le thème de ce salon a porté cette année sur «Recherche et innovation».
Un mot sur le processus qui mène de la recherche à l’innovation ?
La recherche et le développement c’est d’abord l’investissement que font les laboratoires. Une fois ces recherches sont mises au point, il faut pouvoir les adapter, dans le cas qui nous concerne, au monde agricole. Il faut faire des essais par exemple pour adapter de nouvelles variétés qui doivent être expérimentées sur le terrain. Il y a ensuite une étape cruciale qui est celle de passer au développement, c’est-à-dire de faire adopter cette recherche par le monde agricole. C’est peut-être facile dans le cadre d’une agriculture de pointe, mais dans un monde rural traditionnel, il est plus difficile de faire passer cette recherche dans la pratique. Cela nécessite beaucoup d’efforts d’information, de formation et des outils pour mettre en place cette recherche.
Pouvez-vous donner un exemple plus concret à décliner sur le terrain ?
Dans le cadre de notre ONG qui travaille dans le sud du Maroc à la mise en place des systèmes d’irrigation localisés pour irriguer des palmeraies, on a fait de la formation, on a sensibilisé les agriculteurs, on leur a montré comment réguler l’eau. Deux mois plus tard, lorsque nous sommes passés sur le terrain, on a constaté que les agriculteurs qui voulaient voir l’eau couler avaient enlevé les goutteurs. Nous avons de nouveau fait de la formation, montré le gaspillage de l’eau et remis les goutteurs. Aujourd’hui, les choses fonctionnent plus correctement. En d’autres termes, on ne passe pas de la Deux chevaux à la Ferrari d’un seul coup, il y a toute une éducation à faire et souvent cela demande une génération.
Le philosophe Michel Serres a souvent rappelé qu’en France, il y avait 70% de paysans au début du XXe siècle, et à peine 2% aujourd’hui qui ont intégré les techniques biologiques, les engrais, la sélection des nouvelles espèces, assimilant ainsi la quasi-totalité du savoir contemporain, alors qu’une génération avant ils étaient analphabètes ! Comment expliquez-vous ce changement et celui-ci est-il transposable au Maroc ?
En 1945, on sortait d’une période de guerre, où il fallait reconstruire les villes. Il y a eu aussi le plan Marshall qui a permis l’industrialisation de l’agriculture. Avant la réforme de M. Pisani en 1962, il y avait les conseillers agricoles rattachés au ministère qui parcouraient les campagnes pour organiser des journées de stage. L’État s’est ensuite désengagé en partie de cet effort de vulgarisation au profit des chambres d’agriculture qui se sont occupées de tout ce qui était développement de recherche, conseil au niveau de l’agriculteur, etc. Malheureusement, au Maroc, les chambres d’agriculture ne sont pas suffisamment outillées…
Concernant la recherche agronomique proprement dite, au Maroc, il y a ces centres que l’on dit d’excellence, quel est votre ressenti à leur sujet ?
La recherche au Maroc souffre du départ d’une partie des chercheurs qui, n’ayant pas les moyens financiers de travailler sur leurs programmes, sont partis soit dans le privé, soit à l’étranger. Il y a eu une hémorragie de ces chercheurs formés et il faut savoir qu’il faut une décennie pour préparer un chercheur qui doit mettre au point son programme de travail, publier ses recherches, etc. ; avec le DVD et le départ en retraite, on n’a pas comblé le déficit.
À cela, il faut dire que peu de choses ont été réalisées en matière de modernisation dans le monde rural ?
Le monde rural des zones de montagne de l’Anti Atlas n’a pas profité des acquis et des innovations de la recherche et du développement. Il y a de gros efforts à faire, difficiles quand on sait que l’on a affaire à une population analphabète, souvent âgée, quand on sait qu’il s’agit là de petites propriétés de moins de 5 hectares où l’on trouve de tout, un peu de céréales, de l’élevage, des arbres fruitiers, etc. Au Canada, la moyenne des exploitations, c’est 300 hectares, vous voyez un peu l’écart !
Le plan Maroc vert n’était-il pas une opportunité pour moderniser le monde rural ?
Si on teste la modernisation au nombre de tracteurs, on peut voir que la courbe est ascendante. La mécanisation se met en place, mais ce sont les structures des petites exploitations qui posent problème, car il n’y a pas de possibilité ni matérielle, ni financière d’acquérir un tracteur. Il faudrait peut-être mettre l’accent sur des regroupements sous forme de coopératives qui permettraient aux agriculteurs d’avoir du matériel. Cela a existé au Maroc avec les CT, centres de travaux et de services, petites organisations au service du fellah qui dépendaient du ministère et qui ont tissé des toiles tout autour des grandes zones agricoles et des zones de montagne. Ces CT existent toujours, mais leurs moyens humains et matériels ont été considérablement réduits et ne permettent plus de faire le travail de sensibilisation et de modernisation ! C’est dommage !
D’autant qu’avec la libéralisation des échanges, il y a un effort de mise à niveau à faire sur le plan sanitaire, mais pas seulement ?
Les normes internationales sont de plus en plus exigeantes face à l’utilisation de produits phytosanitaires. On s’aperçoit aujourd’hui que les barrières douanières diminuent, mais les barrières phytosanitaires sont de plus en plus élevées. Au Maroc, l’ONSA veille à la qualité des produits et on doit veiller à avoir des produits de bonne qualité pour l’exportation et pour le marché national. On a remarqué au Salon la présence de nombreuses firmes qui fabriquent du matériel oléicole de trituration des olives qui permet d’obtenir de l’huile d’olive de bonne qualité. Mais cela ne suffit pas, il faut respecter toutes les étapes de la chaîne de la récolte jusqu’au moulin à huile et surtout veiller au temps consacré entre la récolte et la trituration qui en doit pas dépasser 48 heures pour éviter la fermentation des olives et donc leur oxydation que l’on masque parfois en utilisant beaucoup de sel.
Sur quel programme travaillez-vous actuellement dans le cadre de votre ONG l’ALCESDAM, qui existe depuis 27 ans et qui est la seule ONG qui a un partenariat avec le Plan Maroc vert ?
Sur un programme de trois ans dans le sud, d’un coût global de 10 millions de DH, financé par la firme Coca Cola. Ce programme a pour but le développement et la réhabilitation des palmeraies des provinces de Tata, Errachidia et Ouarzazate. Nous serons ce mercredi avec une délégation de 50 personnes, des managers de la firme qui viennent du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Ouest à Tata pour montrer ce que nous faisons. Nous avions, au SIAM de 2010, signé une convention entre la firme Coca Cola, le ministère de l’Agriculture et l’ALCESDAM qui prévoit l’octroi d’un million de dollars de la firme pour planter des palmiers dans les zones du sud. Nous travaillons depuis plus d’un quart de siècle à la réhabilitation des palmeraies qui ont été fortement endommagées par la sécheresse et nous espérons pouvoir planter quelque 50 000 palmiers dans la zone Tata-Errachidia-Ouarzazate avec de beaux rejets. Pour cela, il faut trouver de l’eau dans des nappes qui se rechargent, creuser des puits, construire des bassins, mettre en place des conduites en PVC enterrées pour éviter l’évaporation de l’eau, et mettre en place des vannes d’eau pour la distribution de l’eau. Nous aidons ensuite les agriculteurs à replanter des palmiers à partir des rejets des bons palmiers. On les aide ensuite à acheter des ovins pour l’élevage, des semences maraîchères et fourragères pour leur procurer des revenus en attendant que les palmiers produisent. On les aide aussi à planter des arbres fruitiers comme les amandiers, les grenadiers pour reconstituer l’écosystème oasien qui avec ses différentes strates permet de préserver l’environnement. À côté de cela, nous construisons des foyers qui sont un lieu de rassemblement et d’alphabétisation pour les femmes rurales, des garderies pour les enfants qui seront scolarisés, une salle de création d’artisanat, de vannerie et de tissage, une salle d’exposition. Nous avons d’autres partenaires comme la Principauté de Monaco et l’ALCESDAM Suisse qui nous aident dans la réhabilitation des palmeraies, la plantation de palmeraies pilotes entièrement irriguées au goutte-à-goutte et qui ont de bons rendements, de l’ordre de 50 kg de fruit par an. Nous travaillons aussi avec une annexe ALCESDAM France qui intervient du côté humanitaire et médical.
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